Entretien du 15 mai 1944 au château de Voisins, en présence du capitaine de Vaisseau Jean Tracou, directeur du cabinet du Maréchal,
Notes communiquées à Raymond Tournoux, qui les rapporte dans son livre Pétain et la France paru chez Plon en 1980, page 505
Laval-sans paradoxe Mr le Maréchal, c’est un peu votre faute, tous les malheurs qui nous arrivent, la guerre et tout le reste. Vers 1939, vous l’avez oublié, il y eut une réunion chez Lémery , vous, Alibert et moi. Le septennat Lebrun venait à expiration, je faisais campagne pour vous faire élire.
Le Maréchal- Je ne m’en souviens pas
Laval- Vous avez la mémoire courte
Le Maréchal- C’est un reproche que j’ai adressé aux Français, vous me renvoyez la balle. Les hommes que vous citez n’étaient pas assez influents , à part, vous, pour m’inspirer confiance, si j’avais su que vous vous y intéressiez vraiment, j’aurais peut-être changé d’avis
Laval- j’avais conscience que si Lebrun revenait, nous allions à la Guerre. C’était un faible, et de plus avait une haine farouche du fascisme et de Mussolini. C’était un homme qui pleurait quand un nuage passait, et avec ça un belliciste forcené. Vous étiez mon poulain, Mr Le Maréchal, je savais que si vous étiez élu, et vous l’auriez été si vous l’aviez voulu, nous aurions évité la guerre
Le Maréchal- si vous m’aviez dit cela aussi clairement, j’aurais agi autrement, j’étais tellement excédé ,que j’ai fait passer une note à la presse disant que je n’étais pas candidat
Laval- au fond vous vouliez être un Maréchal tranquille et puis vous aviez horreur des parlementaires. Eh bien on n’évite pas son destin, vous avez fini par être le Chef de l’Etat, mais à ce moment là, vous avez manqué à votre devoir !
Le Maréchal- Il fallait me le dire ; j’étais tellement persuadé que la Guerre serait un désastre, que j’aurais tout fait pour l’éviter- même être Président de la République. Si j’avais cru que cela pouvait être utile. Au fond ce n’est pas ma faute, mais la vôtre.
Laval- Je vous reproche aussi d’avoir accepté de Daladier, le poste d’ambassadeur. A Madrid, il vous a mis là pour vous éloigner, se débarrasser de vous.
Le Maréchal- c’est bien vrai, à deux reprises j’ai voulu revenir pour assister au Conseil Supérieur de la Guerre, Daladier m’a répondu que ma présence était plus utile à Madrid.
Laval- Si vous aviez été Président de la France, toute l’histoire en aurait peut-être été changée. Voyez l’influence d’un petit fait….
Tout cela est le Passé, actuellement la grande règle, c’est la Patience. Chaque matin je me dis : Quelles tuiles recevrai-je aujourd’hui ? Hier, les questions de mains d’œuvre, aujourd’hui l’arrestation de 15 Préfets par les Allemands, le plus terrible : les exécutions à Alger. Demain qu’y y aura t-il ? Mais tout cela ce sont les accidents de la route. Tenir, durer, rester coûte que
coûte, voilà la règle à suivre. Portez-vous bien, laissez-moi faire les besognes ennuyeuses, et attendez. Il y a deux à trois mois terribles devant nous. La France subira d’atroces dévastations. Tant que vous êtes là, rien est perdu ! Les Français vous applaudissent, parce qu’ils se reconnaissent en vous. Vous ne pouvez partir à aucun prix !
Le Maréchal- Somme toute, je suis le miroir des Français.
Laval-Vous ne pouvez donner meilleure définition de votre rôle.
Le Maréchal, lui serrant la main avec effusion : Je suis avec vous continuez, vous avez toute ma confiance.
NB: l’auteur rapporte que Mme Laval était consciente des dangers qui menacent son mari. Il émanait d’elle un souffle de réalisme et de solidité provinciale, cela plaisait beaucoup au Maréchal, la réciproque n’était pas vrai, elle n’a pas oublié le 13 décembre 40, ni les orages des dernières années. A son Procès le Maréchal ignorera Laval. Laval, Lui, ignore la rancune. Sa phrase clé de ces semaines est : je n’ai pas de sang sur les mains, je ne veux pas en avoir. S’opposant aux représailles allemandes et et à celles de la Milice de Darnand.