Confidences de Laval à Jean Tracou
Début 1944/Positions sur l’Allemagne :
-de Pétain
-de Laval sur son chemin de mort
Deux conceptions qui ne se recoupent pas
Pétain : la politique du communiqué
Laval : il faut s’entendre, il faut négocier
Confidences de Laval à Jean Tracou directeur de cabinet du chef de l’état de janvier à juillet 44
(voir Le Maréchal aux liens de Jean Tracou édition Bonne 1948), lors d’un long entretien, Tracou muni de cartes voulait intéressé Laval à la situation sur le front de l’Est.
« Je ne fais pas la politique du communiqué. Je ne suis pas comme vous là-haut (Laval avait ses bureaux au 2ème étage et Pétain au 3ème-à l’hôtel du parc) Mon attitude ne varie pas selon les fluctuations de la guerre. Vos cartes ne m’intéressent pas .Quelle que soit l’issue de la guerre, les rapports franco-allemands resteront le problème central de l’Europe. Nous serons 38 à 40 millions, à côté d’eux qui seront 60 à 70 millions et nous aurons une frontière commune. Connaissez-vous le proverbe arabe :-Si tu ne peux tuer ton ennemi, donne-lui ta fille en mariage ? C’est encore plus vrai quand cet ennemi est votre voisin. Tout est là. C’est la géographie qui le veut. Elle ne change pas, moi non plus. J’ai toujours dit la même chose que je parle au nom de la France victorieuse, ou de la France d’aujourd’hui (référence à sa période de président du conseil au début des années 30). En 1931 vous étiez à Berlin (Tracou dans les services de l’attaché militaire à Berlin) quand j’y suis allé avec Briand, il fallait donner quelques milliards au chancelier Brüning pour empêcher Hitler de venir au pouvoir. Je ne pouvais pas donner les milliards sans exiger des gages. Et, lui ne pouvait pas donner des gages sans êtres renversé. Nous n’en sortions pas. A la fin des négociations il a fallu faire un communiqué, Jean François Poncet notre ambassadeur le préparait, lorsque je suis rentré dans le bureau, j’ai trouvé Brüning dans un fauteuil, la tête dans les mains, l’air désespéré. J’ai regardé le communiqué le communiqué et j’ai dit : si j’étais chancelier du Reich, je refuserais de signer ce papier. On va en faire un autre .On ne peut pas déshonorer le chef du gouvernement allemand.
Voilà ! Il faut s’entendre ! Il faut négocier ! Il faudrait que tout le monde le comprenne
Si nous ne le faisons pas, tout est perdu. Alors que voulez-vous que ça me fasse que les Russes avancent de 50 kms à l’Est ?
Tracou se fait la réflexion suivante : J’ai quelque peine à comprendre ce refus de la réalité de la part d’un homme généralement si objectif. Laval croit à la pré-éminence de la politique, la guerre est à ses yeux qu’un des moyens de cette politique, non le plus important. Il est dans le savoir disciple de Clausewitz. La guerre jeux lointains de spécialistes, est largement dépassée en intérêt par les combinaisons de la diplomatie. La guerre ultime moyen de la politique, marque à ses yeux l’abdication de l’intelligence.
Laval reprend : Je crois à la victoire de l’intelligence. J’ai peine à admettre que les anglo-saxons fassent jusqu’au bout le jeu du bolchevisme. Si je suis encore ici, si je peux faire échecs à des fous tels Doriot et Déat, c’est grâce à des paroles de ce genre. Quand j’ai dit :Je souhaite la victoire de l’Allemagne, sans elle, le bolchevisme s’installerait partout en Europe. On a pensé : il est fou ce Laval ! Je savais bien que cette phrase agirait comme une goutte d’acide sulfurique sur la peau des français. Je l’ai prononcée en pleine connaissance de cause (ce fut la cause principale de sa condamnation à mort en 45), et puis on supprime toujours le dernier membre de la phrase.
J’aime ça ; on se défend mieux face à des adversaires de mauvaise foi. J’ai voulu donner à réfléchir aux français, en les secouant un peu. Quand aux allemands c’est un don gratuit que je leur ai fait. Ils n’en ont pas cru leurs oreilles, ils ont mis trois semaines à réagir. Ça leur a donné confiance, et grâce à cette phrase ils ont maintenu un gouvernement français après le débarquement en Afrique du Nord.
On raconte aussi que je n’aime pas les Anglais. Rien n’est plus faux. J’ignore ce que signifie d’être anglophile ou germanophile, pour un homme politique ça n’a pas de sens. Je ne crois pas qu’il y ait un seul homme politique qui ait rendu à l’Angleterre autant de services que moi. -il raconta alors le sauvetage par son gouvernement de la Banque d’Angleterre en 1931(négocié en pleine nuit, dans l’urgence par Sir Ronald Campbell ambassadeur en France) Il rapporte qu’en juillet 40, il s’est opposé à toutes représailles après l’affaire de Mers El Kébir, contrairement à Darlan et bien d’autres qui voulaient bombarder Gibraltar et la Flotte anglaise qui s’y était réfugiée.
Il raconte alors une anecdote d’août 40, qui se passa au restaurant Chantecler à l’hôtel du parc, Le Général de Lattre de Tassigny, commandant de la région militaire de Clermont-Ferrand, le remercia de sa nomination, et ajouta : « Mr le Président, je vous demande de me confier le commandement de la première division qui débarquera en ANGLETERRE » Laval conclua :
Encore un fou !
Tracou lui répondit : Comment voulez-vous que les français sachent tout cela ? Ils n’entendent que vos paroles publiques. Je préfère les silences du Maréchal.
Laval : Le Maréchal est au-dessus de la mêlée ; il peut se permettre de ne rien dire. Je sais que mes paroles me placent à la pointe du risque,. Mais ça une fois pour toutes, je m’en fous !
Le Maréchal chaque matin avec son chef de cabinet militaire Blasselle, fait le point des opérations sur les cartes militaires. Le Chef d’Armée reparait, fait la critique, se prend à son propre jeu, il m’arrive- ô sacrilège !- d’évoquer le café du commerce…
Pétain est essentiellement un Continental, pendant 60 ans son horizon fut borné par la « ligne bleue des Vosges » frontière sentimentale de la génération de 1870 ! Sa vision couvre l’Europe et le Nord de L’Afrique, cette Eurafrique, dernière invention de la géopolitique allemande. Il découvrit l’Empire à l’occasion de la révolte d’Abd-El-Krim à 70 ans, il n’avait jamais quitté la France !
Quelques voyages de représentation aux Etat-Unis, Pologne, Yougoslavie, Italie, Espagne, lui ouvrirent des horizons vite refermés, au delà de l’Europe, le visage du vaste monde a conservé pour lui tout son mystère